Converser

(Fribourg - Belluard Bollwerk International Festival - 2019)

Conception et activation Élise Simonet
Réalisation des cartes Léo Gobin
Impression Cric Print
Remerciements Nina Coursin, Lucie Caille, Alix Hagen et tou·te·s les conversant·e·s fribourgeois·es
Coproduction Festival Belluard Bollwerk International



D'où vient votre intérêt pour le langage et la conversation ?
Elise Simonet: Je me souviens que lorsque je suivais mes études à l’université en mise en scène, j’ai tout à coup été frappée par la manière de parler des actrices et acteurs. Je ne la comprenais plus, je trouvais que tout sonnait faux. J’ai alors commencé ma pratique de l’enregistrement en collectant des récits de rêves: cela m’intéressait d’entendre comment les gens parlaient dans la « vraie vie », tout en me racontant des histoires fantastiques. C’est à ce moment-là que j’ai rejoint l’Encyclopédie de la parole, groupe au sein duquel je travaille depuis 7 ans. J’ai pu y creuser ce travail d’écoute et d’identification de phénomènes dans la parole. Mon intérêt pour la conversation est lui très lié à ma pratique de dramaturge. Mon outil principal lorsque j’accompagne des artistes sur leurs créations, c’est la conversation : nous avançons ensemble pour poser des mots sur des intentions et des sensations. C’est ce dont parle Kleist dans son Elaboration de la pensée par le discours : « Si tu veux savoir une certaine chose (…) je te conseille (…) d’en parler avec le premier homme de ta connaissance que tu rencontreras. »

A quoi servent les cartes ? A catalyser ou à engager une conversation ? Quelles autres démarches peuvent-elles soutenir ?
J’ai inventé ce format alors que je me posais des questions sur la musique et son rapport au sens. Je me suis dit que la meilleure manière de mettre ces questions à l’épreuve était de rencontrer des musicien·ne·s avec qui converser sur ce sujet. Lors des premiers entretiens, plusieurs d’entre eulles ont dessiné leur espace de travail, ou encore la manière dont iels visualisaient la musique. J’ai alors compris qu’un support visuel était un bon appui pour impulser la parole, et qu’il devenait une sorte d’objet transitionnel, permettant de pacifier la situation du face à face. Ce n’est pas toujours facile de converser les yeux dans les yeux avec quelqu’un·e qu’on ne connait pas ; les cartes orientent le regard et la parole autour d’un élément commun.
Au fur et à mesure elles deviennent également la trace de toutes les conversations passées. Elles permettent de faire intervenir les idées et les récits des conversant·e·s précédent·e·s à chaque nouvelle rencontre.

Que peuvent apporter de particulier les Fribourgeois·es à la conversation ?
Ici à Fribourg je souhaite creuser la question du bilinguisme : comment vit-on dans une ville bilingue ? Qu’est-ce qu’une langue maternelle ? Que reflète ma langue de ma culture ? Comment s’aimer dans des langues différentes ? Comment une langue active-t-elle un processus d’intégration et d’hospitalité ?
Ce sont des questions autour desquelles j’ai déjà conversé avec des habitant·e·s de Bruxelles, je suis donc curieuse de croiser les récits et les hypothèses autour de ces différentes manières de parler, de penser, de vivre entre une langue et une autre.

Qui crée les cartes et quels sont les critères ?
À chaque conversation, j’isole des phrases, des mots, des idées. Nous en parlons ensuite avec Léo Gobin, qui est acteur, musicien, mais aussi dessinateur. C’est lui qui va donner une représentation visuelle à ces éléments, les transformant en signes, dessins, agencement typographique. Nous collaborons ensuite avec un imprimeur local pour imprimer les cartes d’une manière simple, avec un soin apporté à l’encre et au papier.

Quel est votre rapport au thème de cette année, l’impact ?
Je me rends compte que c’est un mot que j’emploie très peu. Je l’associe à une trace violente, je pense à l’impact d’une balle, ou encore à ce que signifie un impact financier ou environnemental, comme un coup/coût irréversible.
La sonorité même du mot tient beaucoup à cette syllabe occlusive finale: on doit retenir l’air dans la bouche en bloquant les lèvres, puis relâcher soudainement pour projeter l’air retenu. Cela produit un effet quasi explosif !

Quel impact espérez-vous avoir avec votre projet ou votre pratique artistique?
J’ai la sensation que Converser ne travaille justement pas à l’endroit de l’impact, mais plutôt à celui de la résonance, comme le font les ondes ou les vagues. Les conversations et les cartes se répandent tranquillement, les pensées se transforment peu à peu en mots, puis en dessins, et tout cela en prenant le temps, dans un rapport d’intimité. Ce n’est pas un projet dans lequel l’efficacité est en jeu. Mais lorsque, lors d’une conversation, quelqu’un·e me dit : « Ah tiens, je n’avais jamais formulé ça comme ça », je me dis que nous avons touché quelque chose.